Mis à jour en décembre 2023

Le 16 juillet 2021, les députés allemands ont adopté une loi sur le devoir de vigilance des entreprises dans les chaînes d’approvisionnement. Cette loi fait écho à celle publiée un peu plus de quatre ans plus tôt en France, le 27 mars 2017, désormais intégrée dans le Code de commerce. Elle intervient dans un contexte d’intérêt grandissant des médias occidentaux et des organisations non gouvernementales pour les drames survenus dans des usines des pays du « Sud global », notamment dans l’industrie textile. Elle concerne certes en premier lieu les grands groupes, mais en réalité tout autant les PME sous-traitants de grands groupes.

Déjà en 2016, l’Allemagne publiait un plan d’action national pour la transposition en droit national des principes directeurs des Nations Unies pour l’économie et les droits de l’Homme. Mais, en 2020, seuls 13 à 17 % des entreprises allemandes déclaraient se conformer à ces dispositions facultatives. Cela a incité le gouvernement allemand à proposer, le 1er mars 2021, un projet de loi pour le devoir de vigilance des entreprises. Finalement, après des débats rapides mais tout autant intenses, la loi est adoptée par les deux chambres du Parlement allemand et publiée le 22 juillet 2021 au Journal Officiel allemand. L’entrée en vigueur de la loi est fixée au 1er janvier 2023.

En parallèle des avancées au niveau national allemand, le Parlement européen a adopté le 10 mars 2021 la Résolution n° 2020/2129 (INL) contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises. Le Parlement a soumis une proposition de directive en la matière à la Commission européenne que celle-ci a adoptée le 23 février 2022, puis retransmise au Parlement pour débat. Finalement, le Parlement a adopté le projet de directive le 1er juin 2023 (n° P9_TA(2023)0209), après avoir réalisé de nombreuses modifications en s’appuyant notamment sur l’orientation générale du Conseil de l’Union européenne datant du 1er décembre 2022.

Ci-dessous, nous vous donnons un aperçu des principales mesures prévues par la loi allemande sur le devoir de vigilance (Gesetz über die unternehmerischen Sorgfaltspflichten in Lieferketten – LkSG), en comparaison avec la règlementation française.

1. Champ d’application de la loi

À partir du 1er janvier 2023 et jusqu’à la fin de cette même année, toute entreprise, quelle que soit sa forme sociale, employant au moins 3.000 salariés en son sein et dans ses filiales dont le siège social est situé en Allemagne est soumise au devoir de vigilance. À partir de janvier 2024, le seuil de salariés à partir duquel les entreprises seront soumises à la loi sera abaissé à 1.000. Il en va de même pour les filiales allemandes d’entreprises ayant leur siège social à l’étranger, du moment que le seuil de salariés employés sur le territoire allemand est atteint (art. 1 de la LkSG).
La loi française sur le devoir de vigilance diffère en ce qu’elle ne vise que les sociétés anonymes, les sociétés par actions simplifiées et les sociétés en commandite par actions. En outre, les seuils de salariés sont plus élevés puisque la loi française est applicable seulement à toute société employant au moins 5.000 salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est situé sur le territoire français, ou au moins 10.000 salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est situé sur le territoire français ou à l’étranger (Art. L. 225-102-4 I al. 1 du Code de commerce).

2. Définition de la chaîne d’approvisionnement, la « Lieferkette »

La loi allemande vise toutes les activités de l’entreprise (livraison de marchandises, prestation de service, de l’extraction des matières premières jusqu’à leur livraison au client final). La loi vise aussi les activités des entreprises du groupe ainsi que celles des fournisseurs directs et indirects, à partir du moment où leurs activités sont nécessaires à la fabrication de produits ou à la prestation de services (art. 2 al. 5 à 8 de la LkSG).

En France, la loi de vigilance vise les « activités de la société et celles des sociétés qu’elle contrôle […] directement ou indirectement, ainsi que les activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation » (Art. L. 225-102-4 I al. 3 du Code de commerce). Le cercle des entreprises visées est donc plus restreint en France qu’en Allemagne.

3. Champ des interdictions

La loi allemande couvre tous les droits humains qui résultent de onze accords internationaux listés en annexe de la loi. Le législateur allemand a choisi d’établir une présomption de risques d’atteinte aux droits de l’Homme ou à l’environnement lorsque des violations de certains de ces droits sont constatées, notamment en matière de travail forcé, de travail des enfants, de discrimination, d’utilisation de certains produits chimiques, etc. (art. 2 al. 1 à 4 de la LkSG).

La loi française vise de manière générale, sans plus de précisions, l’ensemble des obligations internationales auxquelles la France est liée en matière de droits de l’Homme. (Art. L. 225-102-4 I al. 3 du Code de commerce).

4. Plan de vigilance et obligation de rapport et de publication

Les entreprises visées par la loi sur le devoir de vigilance doivent mettre en place un management des risques, effectuer régulièrement des analyses de risques, établir des mesures préventives dans leur propre secteur d’activités, ainsi qu’à l’égard de leurs fournisseurs directs. En outre, les entreprises ont l’obligation de mettre en œuvre une procédure d’alerte (les alertes peuvent également concerner les fournisseurs indirects) et de prévoir des mesures correctives (art. 3 al. 1 de la LkSG). La loi allemande prévoit également l’obligation de publier sur le site Internet de l’entreprise un rapport annuel sur le respect des obligations de vigilance.
Un système similaire est présent dans la loi française. Cette dernière prévoit une cartographie des risques visant à identifier, analyser et prioriser les risques, des procédures d’évaluation de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, des actions d’atténuation des risques, un mécanisme d’alerte et un dispositif de suivi des mesures et d’évaluation de leur efficacité. (Art. L. 225-102-4 I al. 4 du Code de commerce). Le plan de vigilance ainsi que le compte-rendu de son application effective doivent figurer dans le rapport de gestion de la société.

5. Conséquences du non-respect de l’obligation de vigilance

Contrairement à la France, la loi allemande ne prévoit pas de responsabilité civile en cas de violation des obligations découlant du devoir de vigilance. Une telle responsabilité avait été initialement prévue dans le projet de loi mais, suite à un refus véhément des organisations professionnelles, a finalement été supprimée.

Les entreprises ne respectant pas leurs obligations de vigilance sont néanmoins passibles d’une amende administrative pouvant aller jusqu’à 800.000 euros ou, si le chiffre d’affaires annuel moyen de l’entreprise visée est supérieur à 400.000.000 euros, jusqu’à 2 % du chiffre d’affaires annuel (art. 24 de la LkSG). L’autorité administrative dédiée normalement au contrôle des exportations, le Bundesamt für Wirtschaft und Ausfuhrkontrolle (Office fédéral de l’économie et du contrôle des exportations) s’est vue arroger des pouvoirs d’investigation et de sanctions considérables en la matière, ce qui laisse à penser que ces sanctions ne resteront pas lettre morte.

Par ailleurs, la loi allemande réserve aux syndicats et aux ONG la possibilité de représenter en justice les personnes dont les droits de l’Homme sont violés. Mais, les plaideurs devant fonder leur action, non pas sur la loi allemande, mais sur la loi locale, il est peu vraisemblable que ce droit porte effet.

La loi française prévoit quant à elle la possibilité d’agir en justice sur le fondement de la responsabilité délictuelle (Art. L. 225-102-4 II du Code de commerce). Au préalable de l’action en justice, il est nécessaire qu’une entité ou une personne justifiant d’un intérêt à agir ait adressé une mise en demeure à l’entreprise pour non-respect de son devoir de vigilance et que cette mise en demeure soit restée sans effet pendant un délai de trois mois. Des actions en justice introduites après que les mises en demeure soient restées infructueuses sont actuellement en cours devant des juridictions françaises.

6. Conseil pratique

La mise en conformité avec la nouvelle loi allemande concerne en premier lieu les entreprises employant en 2023 plus de 3.000 salariés sur le territoire allemand (et seulement 1.000 salariés à partir de 2024). Ce sont ces entreprises qui doivent cartographier leurs risques, cataloguer leurs fournisseurs directs et indirects et prendre des mesures concrètes vis-à-vis de ces derniers. Elles établiront ainsi, si ce n’est déjà fait, des codes de bonne conduite, et se réserveront contractuellement des droits de regard dans les documents commerciaux des fournisseurs, des droits d’accès aux sites de production, droits assortis de pénalités contractuelles suffisamment efficaces.

Inutile de préciser que, par effet de dominos, les PME fournisseurs de biens ou prestataires de services travaillant avec les entreprises du premier périmètre d’application de la nouvelle loi allemande devront tout autant respecter les obligations de vigilance et les répercuter elles-mêmes sur leurs propres fournisseurs. Elles doivent donc tout autant mettre en conformité leurs documents contractuels et procéder (ou faire procéder par des tiers) aux contrôles afférents. C’est cet effet de dominos mettant en place un système d’auto-contrôle des entreprises qui forme la base du nouveau droit de vigilance des entreprises et doit être pris au sérieux par ces dernières.

Fabienne Kutscher-Puis, Avocat aux Barreaux de Düsseldorf et Paris

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