Rares sont les entreprises qui, aujourd’hui, ne sont pas confrontées à des hausses spectaculaires des coûts de matières premières et énergétiques. Pour certaines, l’augmentation du prix de vente de leurs produits pour amortir tout au moins en partie l’explosion de leurs coûts de production est quasiment existentielle. Mais, dans quelle mesure peuvent-elles, juridiquement, répercuter à bref délai ces augmentations sur leurs clients ? Et comment ceux-ci peuvent-ils réagir ? Le présent article examine de plus près la situation des contrats soumis à la loi allemande.

1. Principe : interdiction d’augmenter les prix unilatéralement

Dès lors que les parties à un contrat de vente ont convenu d’un prix fixe, la jurisprudence allemande estime que le vendeur doit assumer le risque d’une augmentation imprévisible des coûts de production. En effet, des clauses d’ajustement du prix sont de pratique courante dans des contrats de livraison de marchandises à exécution successive sur une longue période. A contrario, l’absence de telles clauses est interprétée comme une exclusion de principe de l’augmentation ultérieure des prix.

Un autre instrument de protection tant du vendeur que de l’acheteur consiste en la stipulation d’une clause de force majeure. En droit allemand, la force majeure ne permet pas en elle-même de libérer une partie de ses obligations contractuelles sauf impossibilité objective d’exécuter. Mais il est de plus en plus courant d’insérer dans les contrats de droit allemand une clause de force majeure permettant une suspension, voire une exonération des obligations contractuelles de la partie victime d’un événement de force majeure qu’il convient de définir au contrat. Voir notre article « Le sort des contrats de vente internationale en cas de force majeure – Éclairage sur les contrats franco-allemands ». En l’absence d’une telle clause, rare sera le cas où le débiteur d’une prestation peut être libéré de ses obligations.

2. Exception : Adaptation du contrat en cas de changement des circonstances

a) Conditions

En dépit de son caractère respectueux de la lettre du contrat, la loi allemande autorise l’adaptation du contrat dans des conditions exceptionnelles visées à l’article 313 du Code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch – BGB). Ainsi, une adaptation est possible lorsque les circonstances ayant prévalu lors de la conclusion du contrat subissent une modification telle que, si les parties en avaient eu connaissance lors de la conclusion du contrat, elles n’auraient pas conclu le contrat, tout au moins pas avec la même teneur. De plus, il doit être établi qu’une partie n’a pas assumé, ni explicitement ni implicitement, le risque d’une évolution défavorable des circonstances qui dévaloriserait la contrepartie attendue du cocontractant.

C’est bien ce dernier élément qui va faire obstacle à ce que le vendeur confronté à une augmentation de ses coûts de production puisse demander a posteriori une réévaluation du prix car, ainsi qu’il a été dit plus haut, le vendeur par principe assume le risque de l’augmentation de ses coûts.

Et toutefois, la jurisprudence allemande a validé des adaptations contractuelles auxquelles des parties avaient procédé suite aux mesures administratives ordonnées pendant la pandémie du COVID-19. Ainsi, la Cour fédérale de justice a, dans un arrêt de principe très remarqué du 19 janvier 2022, accepté le principe de la réduction du loyer déclarée par le preneur d’un bail commercial au titre de la fermeture des magasins de détail pendant les périodes de confinement. Certes, la Cour exige à cet effet que le locataire fournisse tout justificatif nécessaire de sa baisse de chiffres d’affaires et de l’absence d’allocation d’aides étatiques ou d’indemnisation d’assurance. Mais, elle valide bien le principe de l’adaptation du contrat par réduction du loyer alors que le risque de pertes commerciales dans les locaux loués appartient au seul locataire.

S’agissant d’augmentations extraordinaires des coûts de production frappant le vendeur, tel que c’est le cas actuellement, il n’est donc pas exclu qu’un tribunal allemand saisi se prononce en faveur de l’adaptation du contrat sur le fondement de l’article 313 du Code civil. En l’absence de décisions de justice récentes portant sur cette question, l’on peut se référer à la doctrine qui, actuellement, déclare unanimement qu’une augmentation de coûts de production inférieure à 20 % ne saurait justifier une adaptation de contrat. D’un autre côté, il semblerait acquis qu’une augmentation de plus de 60 % puisse justifier une telle adaptation, étant entendu que le pourcentage indiqué se réfère à la totalité des coûts de production et non à une partie de ces coûts, tels que par exemple les frais énergétiques.

b) Procédure

En supposant que les conditions précitées soient remplies, le mécanisme d’adaptation du contrat prévu à l’article 313 du Code civil allemand peut être mis en œuvre. Ce mécanisme n’autorise pas le vendeur à augmenter unilatéralement ses prix de vente. Bien plus, il doit informer son acheteur de la situation et lui proposer d’adapter le contrat, d’un commun accord, donc de fixer ensemble des nouveaux prix tenant compte des nouvelles circonstances. Les parties devraient ainsi engager de bonne foi des négociations. Si une augmentation des prix se heurte toutefois aux intérêts légitimes de l’acheteur, pour lequel le contrat devient fortement désavantageux, par exemple parce qu’il ne peut lui-même augmenter ses prix de revente, alors il est concevable que le contrat soit résolu.

L’absence d’accord des parties doit normalement mener à une saisine des tribunaux qui auront à juger de l’adaptation demandée par le vendeur, et donc à vérifier si les conditions (qui restent exceptionnelles) de l’article 313 sont bien remplies. Une modification unilatérale du contrat n’est pas prévue par la loi allemande. Et pourtant, une telle modification a eu lieu à maintes reprises durant la pandémie et c’est finalement les créanciers (bailleurs ou autres) qui ont été obligés de saisir la justice.

3. Conseil pratique

Certainement, dans la majorité des relations commerciales basées sur la durée, le vendeur sera bien conseillé de chercher la négociation avec son acheteur pour trouver une solution pouvant satisfaire les deux parties. Le recours à la justice devrait être l’ultime solution d’autant plus que les procédures en justice en Allemagne entraînent des frais tarifés calculés à raison des sommes demandées et qui peuvent être conséquents.

Eu égard aux contrats futurs, le vendeur doit faire en sorte que des clauses d’ajustement des prix soient convenus. À cet égard, attention doit toutefois être portée au mode de conclusion du contrat, car, en principe, une clause d’ajustement du prix conclue dans un contrat dont la durée d’exécution est inférieure à 36 mois ne sera pas valable dans un contrat standard (tel que la loi allemande l’entend, donc un contrat prérédigé par une partie).

Fabienne Kutscher-Puis, Avocat aux Barreaux de Düsseldorf et Paris

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