Mis à jour en mars 2024

Le 13 mars 2024, le Conseil européen a adopté en troisième lecture un projet de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.

La directive est issue d’un projet de la Commission européenne. Elle l’avait transmise au Parlement européen le 23 février 2022. Celui-ci avait adopté le texte amendé en première lecture le 1er juin 2023 (n° P9_TA(2023)0209). Le Conseil de l’Union, lui, était intervenu le 1er décembre 2022 en adoptant une orientation générale sur le sujet. Un premier compromis avait été trouvé le 13 décembre 2023 entre le Parlement européen et le Conseil européen concernant le contenu du texte. Mais celui-ci avait fait face à l’opposition de l’Allemagne et à la réticence de nombreux États membres. Lors de la réunion des membres du Conseil de l’Europe qui devait conduire au vote de celle-ci, le 9 février 2024, le vote avait été reporté.

Cette directive portera sur « les obligations des entreprises quant aux incidences négatives réelles et potentielles sur les droits de l’homme et sur l’environnement, en ce qui concerne leurs propres activités, les activités de leurs filiales et les opérations effectuées par leurs partenaires commerciaux dans [leurs] chaînes de valeur ; la responsabilité [qui en découle] ; et l’obligation d’adopter et de mettre en œuvre un plan de transition pour l’atténuation du changement climatique qui vise à assurer […] la compatibilité du modèle et de la stratégie de l’entreprise avec la transition vers une économie durable » (art. 1 al. 1 du projet de directive).

1. Le champ d’application de la directive

Le Conseil européen est revenu sur la proposition de seuil faite par la Commission européenne dans le projet initial que le Parlement européen avait tenté d’abaisser. Les nouveaux seuils sont conformes à ceux prévus par la loi allemande et très en-deçà de ceux de la loi française.

Pour les entreprises constituées en conformité de la législation d’un État membre, la directive s’applique si l’entreprise (art. 2 al. 1 du projet de directive) :

  • emploie en moyenne plus de 1.000 salariés et a réalisé plus de 450.000.000 EUR de chiffres d’affaires net mondial au cours du dernier exercice ; ou
  • n’a pas atteint ces seuils, mais est une entreprise mère ultime d’un groupe qui les atteint ; ou
  • est ou a été une entreprise mère ultime d’un groupe réalisant plus de 80.000.000 EUR de chiffres d’affaires net mondial et a conclu des contrats de franchise ou de concession au sein de l’Union en échange de redevances avec des sociétés tierces indépendantes qui s’élèvent à plus de 22,5 millions d’euros au cours du dernier exercice.

Pour celles qui ont été constituées en conformité de la législation d’un État tiers, la directive s’applique lorsque l’entreprise réalise plus de 450.000.000 EUR de chiffres d’affaires net au sein de l’Union ou bien remplit l’une des deux conditions visées à l’art. 2 al. 2 (b) et (c) du projet de directive.

Le nouveau projet de directive prévoit une exemption pour l’entreprise mère ultime, dont l’activité principale est la détention de parts dans des filiales opérationnelles et qui ne prend pas de décisions de gestion, opérationnelles ou financières. Cette exemption ne peut être appliquée que si une des filiales de cette entreprise mère ultime prend en charge cette obligation (art. 2 al. 3 du projet de directive).

2. L’étendue du devoir de vigilance des entreprises

a) La définition d’incidence négative et de chaîne de valeur

Le projet de directive définit l’incidence négative comme toute conséquence née de la violation de dispositions relatives à la protection de l’environnement ou des droits de l’Homme (art. 3 al. 1 (b) à (ca)).

Le terme de « chaîne de valeur » y est également défini. L’enjeu est de déterminer sa profondeur, afin de connaître les entités qui seront impactées par cette directive. Le projet de directive adopté par le Conseil de l’Europe est plus précis que le projet initial. Désormais, l’article 3 alinéa 1 (g) liste expressément toutes les activités concernées.

b) Le champ des interdictions

Le projet de directive prévoit de protéger l’environnement et les droits de l’Homme (art. 1 al. 1 (a) et art. 15 du projet de directive), comme c’est le cas pour la loi allemande (art. 2 al. 1 à 4 de la LkSG). Cependant, la loi française visant seulement les droits de l’Homme (art. L. 225-102-4 I al. 3 du Code de commerce), celle-ci devra être modifiée en cas d’adoption de la directive.

c) L’étendue de la notion de « devoir de vigilance »

Le projet de directive définit précisément l’étendue du devoir de vigilance des entreprises. Le Parlement européen a une vision très libérale de ce devoir qui l’a conduit à faire de nombreuses modifications sur le texte initial de la Commission européenne.

Le Parlement européen souhaitait que ce devoir de vigilance soit incorporé « dans le propre modèle économique de l’entreprise ». La politique de l’entreprise et « tous [ces] systèmes de gestion des risques pertinents » devront intégrer le devoir de vigilance (art. 5 al. 1 du projet de directive). La directive donne aux entreprises toutes les étapes à suivre pour qu’elles puissent respecter ce devoir (art. 5 al. 1 (a)).

Les entreprises devront revoir leurs politiques en la matière « dans un délai raisonnable après un changement significatif » ou « au moins tous les vingt-quatre mois » (art. 5 al. 2 du projet de directive). Elles doivent prendre toutes les « mesures appropriées » pour prévenir ou, si cela n’est pas possible, atténuer les incidences négatives potentielles (art. 7). Elles doivent également prendre toutes les « mesures appropriées » pour mettre un terme aux incidences négatives réelles et, le cas échéant, toutes « mesures correctives » pour réparer l’incidence négative et tout préjudice éventuel qu’elle aurait causé (arts. 8 et 8c). Si l’entreprise ne peut pas y mettre un terme « immédiatement », celle-ci doit « réduire au minimum l’ampleur de cet incidence » (art. 8 al. 2).

L’article 13 du projet de directive prévoit l’adoption de lignes directrices par un certain nombre d’organismes, « afin d’apporter un soutien aux entreprises ou aux autorités des États membres ». Leur contenu est précisé à l’alinéa 1a de l’article 13.

3. Les sanctions en cas de non-respect des obligations posées par la directive

Le projet de directive impose aux États membres de fixer des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives », applicables aux violations des dispositions de la directive (art. 20 al. 1 du projet de directive). Pour déterminer ces sanctions, les États membres devront tenir compte d’un certain nombre d’éléments précisés à l’al. 2 de l’art. 20 du projet de directive. Ces sanctions peuvent être sous différentes formes (art. 20 al. 2a) et sont fondées sur le chiffre d’affaires net mondial de l’entreprise (art. 20 al.3). Les sanctions pécuniaires ne peuvent dépasser 5 % du chiffre d’affaires net mondial de l’entreprise au cours du dernier exercice (art. 20 al.3).

Le projet de directive crée également une responsabilité civile des entreprises si (art. 22 al. 1 du projet de directive) :

  • elles n’ont pas respecté, « intentionnellement ou par négligence », des obligations prévues par les articles 7 et 8 du présent projet de directive; et
  • à la suite de ce manquement, l’entreprise « a causé un préjudice ».

Dans ce cadre, le projet de directive prévoit un encadrement strict du régime. Il prévoit un délai de prescription « d’au moins cinq ans » et une possibilité d’agir en référé (art. 22 al. 2a a. et c.). Des syndicats mandatés, des organisations de la société civile ou d’autres acteurs concernés agissant avec un intérêt public pourront également « intenter des actions en justice au nom d’une victime ou d’un groupe de victimes » (art. 22 al. 2a d. du projet de directive).

Le projet de directive voté exclut toute limitation de responsabilité, contrairement au projet initial de la Commission européenne (art. 22 al. 3). Il sanctionne toutes les manœuvres permettant aux entreprises d’échapper à leur responsabilité (art. 22 al. 4 du projet de directive).

4. Conseil pratique

La directive devrait être définitivement votée par le Parlement européen d’ici les élections européennes de juin 2024. La transposition prenant encore du temps, les entreprises qui ne se voient pas appliquer les obligations actuelles sur le devoir de vigilance en France ou et en Allemagne, auront le temps de se préparer pour faire face à leurs nouvelles obligations. Si le texte reste en l’état, ses obligations seront plus strictes et plus étendues que les lois nationales allemande et française. Les entreprises allemandes déjà confrontées à un régime strict de sanctions administratives peuvent d’ailleurs être mieux préparées que leurs homologues françaises.

Fabienne Kutscher-Puis, Avocat aux Barreaux de Düsseldorf et Paris

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