La crise sanitaire liée à la pandémie du coronavirus ébranlant l’économie mondiale aura démontré, si besoin est, combien l’équilibre des contrats commerciaux, nationaux comme internationaux, est fragile. Il ne fait pas de doute que nombre d’entreprises ont été confrontées à de graves difficultés de production et livraison, en raison de leur non-approvisionnement par leurs propres fournisseurs ou bien de l’arrêt de travail de leurs salariés touchés par le confinement. Quels sont leurs droits et obligations dans une telle situation en l’absence d’une clause spécifique en France et en Allemagne ?

1. Détermination de la loi applicable au contrat

Les problèmes sont certes d’envergure mondiale, mais les réponses juridiques souvent nationales, sauf si les entreprises ont choisi, consciemment ou non, de se soumettre à la Convention des Nations Unies sur la vente internationale de marchandises (CVIM). Ainsi, selon la loi applicable au contrat, le régime applicable en présence d’un événement de force majeure diffèrera.

Rappelons que la livraison de marchandises par une entreprise française à une entreprise allemande entre, par principe, dans le champ d’application de la CVIM, sauf si les parties en ont exclu l’application au contrat par une clause expresse. La simple désignation de la loi française, sans plus de précision, n’emporte pas l’exclusion de la CVIM. Le rôle de la loi française sera bien plus limité aux rares aspects non réglés par la CVIM, tels que les vices de consentement, les délais de prescription ou le transfert de propriété.

2. Régime de la force majeure

a) Force majeure sous l’empire de la CVIM

Les cas de force majeure affectant les relations contractuelles des parties font l’objet de l’article 79 de la CVIM, intitulé « exonération ». En cas d’application de la CVIM, cette disposition prime les règles nationales. La CVIM ayant été conçue pour les relations entre entreprises du monde entier, il n’est pas surprenant que son régime de force majeure soit souvent plus adapté aux problèmes d’import-export que les lois nationales.

Ainsi, selon la CVIM, est exonérée de ses obligations contractuelles la partie en mesure de démontrer qu’elle ne peut les exécuter en raison d’un « empêchement indépendant de sa volonté », sans qu’il ne soit nécessaire de démontrer l’absence de faute. De plus, il ne faut pas pouvoir « raisonnablement attendre [de la partie] qu’elle le prenne en considération au moment de la conclusion du contrat, qu’elle le prévienne ou le surmonte ou qu’elle en prévienne ou surmonte les conséquences ». Il en va de même si l’inexécution est due à l’inexécution par un tiers que la partie a chargé d’exécuter tout ou partie du contrat, dès lors que les conditions précitées sont remplies par la partie elle-même ou par le tiers.

La partie empêchée d’exécuter pour cause de force majeure devra en avertir l’autre partie, sans délai ; à défaut, elle risque d’engager sa responsabilité en dommages-intérêts. Mais, la formalité de l’avertissement étant remplie, elle ne risque aucune indemnisation du préjudice subi par son cocontractant, lequel n’aura plus que le recours à la résolution du contrat (art. 79 al. 5, art. 49 de la CVIM).

b) Force majeure en droit français

L’ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des contrats a codifié la réglementation de la force majeure dans l’article 1218 du Code civil. Ce faisant, le législateur français s’est beaucoup rapproché des principes établis par le droit uniforme de la vente (CVIM) en dépit d’une rédaction relativement imprécise de la disposition qui appelle les parties contractantes à en définir le régime par une clause spécifique.

Aux termes de l’article 1218, la force majeure est un événement empêchant une partie à un contrat d’exécuter ses obligations lorsque (1) cet évènement échappe à son contrôle, (2) n’était pas raisonnablement prévisible lors de la conclusion du contrat et (3) dont les effets ne pouvaient être évités par des mesures appropriées. Même si la rédaction de cet article diffère de l’article 79 de la CVIM, la doctrine est unanime pour constater que le fond est le même.

Qu’une pandémie telle que celle provoquée par le coronavirus puisse être qualifiée de force majeure au sens de la loi française est plus que discutable. Ceci serait concevable pour un auto-entrepreneur atteint gravement par le COVID-19, mais est peu vraisemblable pour une entreprise employant de nombreux salariés. Également, le manque d’approvisionnement du fait de la rupture de la chaîne de livraison ne devrait pas pouvoir être considéré comme empêchant totalement l’exécution du contrat.

La survenance d’un événement de force majeure remplissant les critères précités aura pour effet, s’il est définitif, de résoudre le contrat de plein droit et de libérer les parties de leurs obligations. Tout comme sous l’empire de la CVIM, un droit à dommages-intérêts suite à l’exonération est exclu.

Quant à la faculté pour les parties de demander une renégociation du contrat ou son adaptation par le juge (imprévision), elle a été nouvellement créée par l’ordonnance de réforme du droit des contrats et est désormais réglementée par l’article 195 du Code civil. Aux termes de cet article, il est nécessaire « qu’un changement de circonstances imprévisibles à la conclusion du contrat rende l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque ». Si ces conditions peuvent paraître plus souples que celles de la force majeure, en réalité, elles imposent un contrôle du risque contractuel par chaque partie. La doctrine a ainsi pu parler de « professionnalisme » des parties exigeant d’elles une connaissance approfondie des prix des marchandises, de l’offre et de la demande mais aussi des risques de conflits armés ou autres susceptibles de rendre l’exécution du contrat trop onéreuse pour elles.

c) Force majeure en droit allemand

Le droit allemand se révèle être bien moins avantageux pour la partie confrontée à un cas de force majeure que le droit français ou la CVIM car il ne connaît pas de règlementation de la force majeure au sens strict du terme.

Les inexécutions contractuelles d’une partie confrontée à un événement imprévisible se jugent sous le couvert de l’impossibilité d’exécution. Le débiteur d’une obligation contractuelle se trouve exonéré lorsque l’exécution est objectivement, donc pour n’importe qui, impossible (art. 275 al. 1 du Code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch – BGB). En présence d’une exécution simplement impossible du point de vue de la partie concernée (impossibilité subjective, art. 275 al. 2 du Code civil allemand), la partie ne s’en trouve dispensée que si les efforts qu’elle devrait fournir pour exécuter sont en complète disproportion avec l’enjeu du contrat pour elle.

Dans la vie des affaires, seule l’impossibilité dite subjective peut être invoquée car il est toujours possible à une partie de s’approvisionner auprès d’autres fournisseurs, de faire intervenir d’autres sous-traitants, d’engager d’autres salariés etc., pour réaliser les prestations convenues. Les coûts supplémentaires liés à ces mesures d’urgence sont appréciés au regard des « efforts disproportionnés ».

De plus, la simple dispense d’exécution pour impossibilité subjective ne permet pas à la partie concernée d’échapper à des demandes en dommages-intérêts de son cocontractant. De telles demandes seraient en effet accueillies s’il s’avère que la partie invoquant l’impossibilité a, par exemple, failli à prendre, en amont, les mesures nécessaires pour pallier des événements affectant sa capacité de production. Il est ainsi loin d’être acquis qu’une crise sanitaire telle que celle provoquée par le coronavirus puisse justifier une impossibilité subjective au sens du droit allemand. Au contraire, nombre d’arguments s’y opposeraient.

En revanche, le recours à la théorie de l’imprévision, connue depuis longtemps par le droit civil allemand (art. 313 al. 1 du Code civil allemand), devrait permettre au fournisseur d’obtenir de son acheteur une renégociation des termes du contrat suite à la survenance d’événements rendant son inexécution trop onéreuse. Certes, il est de jurisprudence constante qu’une adaptation du contrat ne peut être demandée que si l’événement imprévu modifiant l’équilibre du contrat ne fait pas partie des risques assumés par la partie concernée. En principe, un fournisseur s’engageant à livrer des marchandises assume par nature le risque de s’approvisionner en conséquence. Toutefois, la récente jurisprudence allemande s’est montrée plus bienveillante à l’égard du débiteur de prestations empêché en raison de la pandémie que beaucoup ne le pensaient. La jurisprudence en matière de baux commerciaux est à cet égard significative.

3. Conseil pratique

Les règles exposées ci-dessus s’appliquent en l’absence de clause contractuelle de force majeure. Naturellement, si une telle clause a été convenue entre les parties, elle primera mais devra tout de même être interprétée à la lumière de la loi applicable. Rares étaient les clauses visant expressément les cas d’épidémie ou autre crise sanitaire avant la pandémie du coronavirus. Désormais, les entreprises sont bien conseillées d’adapter leurs standards contractuels pour insérer des « clauses corona ». Elles en profiteront pour désigner soigneusement la loi applicable à leurs contrats.

Fabienne Kutscher-Puis, Avocat aux Barreaux de Düsseldorf et Paris

Cet article d’information générale ne constitue pas une consultation juridique. Pour tout renseignement complémentaire, n’hésitez pas à nous contacter.