Le droit de la distribution allemand prévoit, depuis 1953, qu’une indemnité de fin de contrat est versée à l’agent commercial qui transfère à son mandant la clientèle qu’il a créée. Une application analogue de cette règle, contenue à l’article 89b du Code de commerce allemand (Handelsgesetzbuch – HGB), est effectuée par les juges allemands, en faveur des distributeurs dont les missions s’apparentent à celles des agents commerciaux. Mais comment la jurisprudence allemande applique-t-elle en pratique cette obligation ? Le présent article donne un éclairage sur cette question.

Les juges allemands appliquent, de façon récurrente, certaines règles du Code de commerce allemand relatives à l’agent commercial, à des situations impliquant un distributeur. Ce raisonnement s’explique par l’absence de normes aussi précises et structurées concernant les distributeurs. Ainsi, l’Allemagne garantit à ces derniers une protection règlementée et efficace, à l’image de ce que prévoient les régimes juridiques suisse et espagnol. Ces deux États sont en effet les seuls, avec l’Allemagne, à octroyer au distributeur une indemnité de clientèle.

1. Conditions de l’indemnité de clientèle

Afin de pouvoir prétendre à une indemnité de clientèle, le distributeur doit remplir deux conditions essentielles.

  • D’une part, il doit être intégré au réseau de distribution du fabricant, à l’image d’un agent commercial. Cela signifie qu’il doit accomplir les missions caractéristiques d’un agent commercial et qu’il est soumis au contrôle du fournisseur.
  • D’autre part, le distributeur doit communiquer les noms et les coordonnées de ses clients au fournisseur, afin que celui-ci puisse immédiatement exploiter le fichier client. Cette obligation est de nature contractuelle mais ne doit pas nécessairement être prévue au contrat. Elle peut, en effet, être constituée implicitement, c’est-à-dire par des demandes de communication du fabricant, auxquelles le distributeur se conforme sans base écrite.

Cependant, en doctrine et en jurisprudence, des voix se font entendre qui plaident pour supprimer la condition de la transmission du fichier clients. Ainsi, le tribunal de grande instance de Nuremberg, par jugement du 27 novembre 2018, a adopté une interprétation plus large des conditions de l’octroi de l’indemnité de clientèle. En prenant comme seul critère d’appréciation celui des avantages tirés par le fournisseur de sa relation commerciale avec le distributeur, les juges ont décidé qu’un distributeur pouvait prétendre à une indemnité de clientèle. Selon le tribunal, l’octroi de l’indemnité dépend uniquement des avantages que retire le fournisseur, peu importe le fait qu’une liste de clients ait ou non été transmise. À l’heure actuelle, cette jurisprudence n’a toutefois pas été confirmée par la Cour supérieure allemande.
Quoi qu’il en soit, le distributeur peut prétendre au bénéfice d’une indemnité de clientèle, dès lors que le fournisseur a mis un terme au contrat ou bien qu’il a été lui-même contraint de le résilier pour cause de manquement contractuel du fournisseur.

2. Mode de calcul de l’indemnité

Il n’existe pas, en droit allemand, de disposition légale qui fixe de manière générale le montant de l’indemnité de clientèle. La Cour fédérale de justice allemande se fonde, dans de nombreuses décisions, sur la méthode d’appréciation de la marge brute du distributeur.

Les chiffres utilisés pour calculer cette marge sont ceux des douze mois précédant la fin du contrat, sauf si ceux-ci ne sont pas représentatifs du chiffre d’affaires moyen du distributeur. C’est uniquement le chiffre d’affaires réalisé avec les nouveaux clients prospectés par le distributeur qui est pris en compte. Il convient toutefois de déduire du montant correspondant à la marge brute les soi-disant « frais typiques du distributeur », c’est-à-dire les frais qui ne seraient pas normalement à la charge d’un agent commercial.

C’est à partir de ce montant que l’indemnité est calculée. L’objectif d’une telle indemnité est de compenser les pertes de revenus que le distributeur va subir. Ces pertes sont calculées sur quatre ou cinq ans. La valeur des pertes calculées doit être réduite, d’une part pour tenir compte des intérêts que le distributeur économise en percevant tout de suite l’indemnité et, d’autre part, pour tenir compte de la valeur de la marque distribuée. Enfin, pour des raisons d’équité, les juges allemands prennent en considération toutes les circonstances qui ont entouré la vie du contrat de distribution, lorsqu’ils déterminent le montant de l’indemnité. Également, à l’égard de ce mode de calcul communément pratiqué par la jurisprudence allemande, des critiques sont actuellement exprimées par certains auteurs considérant qu’il méconnaît les préconisations de la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt Semen du 26 mars 2019. Il est donc possible que le calcul change dans un avenir proche.

Le droit allemand fixe toutefois un plafond maximum d’indemnisation. Il correspond au montant annuel de la marge brute moyenne du distributeur appréciée sur les cinq dernières années, auquel les frais typiques de ce dernier sont retranchés.

3. Délais applicables

Le distributeur dispose d’un délai d’une année, à compter de la fin du contrat, pour faire valoir son droit à indemnité auprès du fabricant. De plus, le délai de prescription d’une action judiciaire en demande d’indemnité de clientèle d’un distributeur est de trois ans. Il court à compter de la fin de l’année durant laquelle l’indemnité est exigible, c’est-à-dire à la fin de l’année qui suit le terme de la relation contractuelle entre le fabricant et le distributeur.

4. Conseil pratique

L’indemnité due au distributeur en fin de contrat n’est prévue ni par les contrats ni par la loi, mais résulte de la jurisprudence constante et ce, à titre impératif. Ceci montre combien il est essentiel pour les entreprises montant leur réseau de distribution en Allemagne d’obtenir un conseil juridique permettant d’évaluer les risques liés au choix de la loi allemande. Certains pourront alors décider de placer leurs contrats sous l’empire de la loi française, même si celle-ci comporte d’autres réglementations sanctionnant les entreprises en fin de relation contractuelle, telles que le régime de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Fabienne Kutscher-Puis, Avocat aux Barreaux de Düsseldorf et Paris

Cet article d’information générale ne constitue pas une consultation juridique. Pour tout renseignement complémentaire, n’hésitez pas à nous contacter.